top of page

L'épuisement professionnel: malaise individuel ou problématique sociale?

  • Photo du rédacteur: Michaël Rousseau
    Michaël Rousseau
  • 26 avr. 2022
  • 14 min de lecture

Selon l’Enquête sociale générale de 2010 faite par Statistique Canada, « 27 % des travailleurs canadiens considèrent la plupart des journées de leur vie comme « assez » ou « extrêmement » stressantes ». En additionnant toute personne qui ressentent un stress au travail (un peu, assez et extrêmement stressé), on compte 73% des travailleurs, c’est-à-dire 10 millions de personnes au Canada (Crompton, 2011). Selon le dictionnaire Larousse en ligne, la définition de normal est : « Qui est conforme à une moyenne considérée comme une norme, qui n’a rien d’exceptionnel » (Normal., s.d.). Le stress au travail serait-il devenu normal? Lorsqu’un stress persiste et qu’il y a « rupture d’adaptation qui résulte d’un déséquilibre à long terme entre demandes et ressources dans un cadre professionnel, cela peut mener l’individu à l’épuisement professionnel » (Truchot, 2004, p. 39). Pour faire face à cette problématique, l’aide apporté à l’individu est nécessaire. Toutefois, en aidant seulement l’individu, nous faisons porter une charge de responsabilités qui ne lui appartient pas complètement. Des facteurs organisationnels, sociaux et idéologiques sont aussi à considérer pour que les travailleurs ne retombent pas dans cette lourdeur émotionnelle. Il y a donc lieu de se poser la question suivante : est-ce que l’individu est responsable à 100% de sa condition psychologique? Je ne crois pas. Le tout est multifactoriel.



Position personnelle


Une des approches utilisées pour traiter différents troubles de santé mentale est celle dite « biopsychosociale ». Cette approche considère les facteurs biologiques (chromosomes, hormones, neurotransmetteurs, etc.), les facteurs psychologiques (apprentissages, distorsions cognitives, schémas internes, etc.) ainsi que les facteurs sociaux (relations sociales, politiques influençant l’individu et les populations, la culture, etc.). Tous ces facteurs sont à considérer autant dans l’évaluation de la problématique que dans l’élaboration d’une solution.


La société néolibérale capitaliste actuelle avec ses dynamiques de performances et d’individualisme contribue à la pression ressentie par les individus. Ces idéologies se font aussi ressentir dans notre modèle médical actuel par la façon d’élaborer les traitements des gens. Beaucoup d’intervenants du domaine de la santé sont donc amenés à élaborer des traitements individuels, mettant principalement l’accent sur les facteurs biologiques (par la médication par exemple) et sur les facteurs psychologiques (par la psychothérapie par exemple). Par contre, en portant moins attention aux facteurs sociaux, nous permettons à un système idéologique de perdurer et de continuer à faire du ravage autant chez les travailleurs que leurs familles, amis (es) et sociétés. Tout cela au nom d’une idéologie capitaliste exploitant l’individu à son maximum jusqu’à ce qu’il ne soit plus en mesure de continuer son travail.


Ma position personnelle face à la question mentionnée au départ est claire : les facteurs sociaux ont un impact important dans la « production » de l’épuisement professionnel. Les organisations, la politique, l’environnement, la culture, bref les facteurs sociaux ont aussi un impact important chez les travailleurs, autant ceux sur le marché du travail que ceux en arrêt de travail.


Raisons de ma position


Tout d’abord, il serait important de définir ce qu’est l’épuisement professionnel. Plusieurs définitions ont été élaborées depuis que M. Herbert Freudenberger, psychothérapeute et psychiatre dans la free clinic de Lower East Side de New York a constaté une perte d’enthousiasme chez les bénévoles de la clinique au courant des années. C’est en 1974 que le médecin écrit un article où il mentionne que plusieurs changements physiques accompagnent cette perte d’engouement : « épuisement, fatigue, persistance de rhumes, de maux de tête, de troubles gastro-intestinaux, d’insomnies » (Truchot, 2004, p. 8). Le burn-out est d’ailleurs considéré comme un syndrome psychophysique dû à ses manifestations symptomatique et non pas purement psychiatrique. Cela explique la raison pour laquelle il ne se retrouve pas dans le Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux (DSV-V) (Vanderheyden & Corten, 2013, p. 13).


En reprenant toutes les définitions élaborées, il est possible de mettre en perspective plusieurs points communs. D’une part, l’épuisement professionnel peut être défini en termes d’état. La personne aura des éléments dysphoriques (particulièrement de l’épuisement mental et émotionnel, une attitude négative envers autrui, une diminution de l’efficacité et de performance). De plus, les causes les plus souvent présentes sont les attentes inappropriées et des exigences émotionnelles élevées. Enfin, l’épuisement professionnel est causé par le travail et frappe peu importe la personne. Ce n’est pas l’expression d’une pathologie individuelle (Schaufeli et Enzmann, 1998 cité dans Truchot, 2004, p. 20).


D’autre part, le burn-out peut se définir en fonction de son processus. Il se manifeste tout d’abord par des « tensions qui résultent de l’écart entre les attentes, les intentions, les efforts, les idéaux et l’individu et les exigences de la rude réalité quotidienne ». Le stress se développe tranquillement de façon consciente ou inconsciente. La façon dont l’individu fera face au stress influencera le développement du burn-out (Schaufeli et Enzmann, 1998 cité dans Truchot, 2004, p. 21)


La conception de plusieurs modèles étiologiques de l’épuisement professionnel a été faite depuis plusieurs années (Fremont, 2013). Toutefois, dans le cadre du présent travail, je mettrai l’accent sur le modèle circulaire biopsychosocial étiopathogénique du burn-out (Delbrouck, Vénara, Goulet, & Ladouceur, 2011, p. 45). Ce modèle met en perspective plusieurs hypothèses pouvant expliquer qu’un individu développe le syndrome d’épuisement professionnel. Les cinq hypothèses sont de type sociologique (culture, famille, sociopolitique), environnemental (travail, facteurs de stress externes), neuro-scientifique (inné, génétique, toxicité, etc.), psychologiques/psychanalytiques (personnalité, facteur de stress propre à chacun) et comportementales (milieu de vie, acquis).


Dans l’article L’épuisement professionnel : vers des interventions organisationnelles de la revue Psychologie Québec, les deux auteurs mentionnent que selon une méta-analyse faite en 1996, 40% des facteurs contributifs au développement du burn-out seraient individuel (Lee et Aschfort, 1996 cité dans Chevrier & Renon-Chevrier, 2004). Il est donc possible de déduire que 60% seraient externes à l’individu. Deux principaux facteurs font référence à cette donnée : les facteurs sociologiques ainsi que les facteurs environnementaux. Quelques-uns des principaux facteurs sont résumés ici. Ils sont principalement tirés du livre Comment traiter le burn-out : principes de prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel.


Tout d’abord, plusieurs facteurs liés au type de travail influencent le développement de ce syndrome. Le volume de travail imposé à l’individu peut créer une pression à ce dernier. Il peut y avoir de l’accumulation de travail au quotidien (dossier à compléter) additionné avec les tâches administratives (statistiques) de plus en plus présentent autant dans les entreprises privées, publiques que dans les organismes communautaires. De plus, l’exposition à la connaissance qui ne cesse de croître et la diffusion de cette dernière peut amener l’individu à ressentir une certaine nervosité, car il doit se maintenir à jour, mais n’a pas la capacité et le temps de tout apprendre. Enfin, la vérification de l’atteinte des quotas de production (nombre de clients vus à l’heure ou objets créés en une journée) peut aussi créer cette pression chez le travailleur qui sait qu’il ne peut se permettre d’avoir de contrainte restreignant son travail, car il sera interrogé à ce sujet (Delbrouck et al., 2011, p. 45).


Le manque de reconnaissance et de soutien au travail peut désenchanter la personne qui est dans un domaine de travail qui a déjà été considéré comme prestigieux, mais qui avec le temps, perd en prestige social. Il est important de spécifié ici que ce n’est pas le statut initial de la profession qui est un des facteurs contributifs au développement de l’épuisement professionnel, mais bien la diminution du prestige social ressentie par le travailleur qui peut en être un (Delbrouck et al., 2011, p. 46).


Le rythme de travail est aussi un facteur important à considérer. Il peut être difficile pour les individus de prioriser les tâches à faire, car souvent l’urgent prime sur l’important. La personne a donc l’impression de toujours « courir après son souffle » (Delbrouck et al., 2011, p. 46).


Certains facteurs sont liés aux aspects psychologiques vécus au travail. Une étude menée de 2004 à 2006 auprès de 12000 soignants dans 12 pays européens met en perspective plusieurs facteurs n’aidant en rien les soignants à maintenir une bonne santé psychologique au travail. Le manque de temps pour la transmission d’informations, le manque de personnel, les ordres hiérarchiques contradictoires, le manque de communication avec les supérieurs, les conflits de travail, les normes de sécurité insatisfaisante ne sont que quelques exemples des conditions d’emploi ne permettant pas aux travailleurs de maintenir une bonne santé mentale (Delbrouck et al., 2011, p. 47).


De façon plus spécifique, le personnel soignant peut être affecté par la pénibilité de leur travail d’intervenant. Pour illustrer ce point, les perspectives professionnelles restreintes, le manque de soutien psychologique au travail, la difficulté d’utilisation des compétences personnelles au travail, les ennuies associé pour donner une qualité de soins, le manque de bonnes conditions physiques de travail ne sont que quelques exemples qui contraignent l’épanouissement de la personne au boulot (Delbrouck et al., 2011, p. 47).


Ensuite, certains facteurs organisationnels et relationnels peuvent contribuer au développement de l’épuisement professionnel. Tout d’abord, l’ambiguïté des rôles provenant du manque de clarté dans la définition des tâches augmente le stress. Ensuite, il peut y avoir conflit de rôle dans la répartition des responsabilités et dans les tâches. Par exemple, si une travailleuse a plusieurs supérieurs hiérarchiques, cette dernière peut parfois se trouver dans une position où il y a contradictions entre les demandes et attentes de ses différents protagonistes. L’apparence de conflit que cela peut représenter peut créer un stress supplémentaire pour elle, même si elle n’est pas l’instigatrice de cette confusion. Même si la personne sait très bien qu’elle n’a seulement qu’à rencontrer ses supérieurs pour leur exposer la situation, l’anticipation de cette rencontre peut être stressante. Ce n’est pas parce qu’une situation problématique a une solution simple qu’elle ne crée automatiquement pas de stress. La nature des relations professionnelles peut aussi créer de la confusion quant aux relations professionnelles/individuelles que l’individu vit. Cette confusion peut être plus facilement illustrée dans le cas d’entreprises familiales. Par exemple, le père de famille étant le patron d’une compagnie, les enfants travaillant pour lui peuvent « facilement » obstiner ses décisions et entrer en contradiction avec ses idées, augmentant ainsi les possibilités de conflits (Delbrouck et al., 2011, p. 48).


Le climat de travail, le manque de participation à la prise de décision ainsi que la communication verticale et horizontale en même temps peuvent apporter de la confusion dans la structure de l’organisation et ainsi créer un climat instable à un travail efficace et sain (Delbrouck et al., 2011, p. 49).


Dans le cadre d’une relation professionnelle entre intervenants psychosociaux et clients, il peut y avoir des difficultés relationnelles comme une incompatibilité d’humeur, des différences d’éducation de milieu social ou économique ainsi que des transferts et contre-transferts qui peuvent créer une atmosphère lourde avec le temps (Delbrouck et al., 2011, p. 50). Additionné à d’autres conditions difficiles, le tout peut créer un terreau propice au développement du burn-out.


Il est aussi important de mettre en perspective le cas du harcèlement moral ou professionnel vécu au travail. Ce harcèlement peut se vivre de différentes façons : par utilisation de techniques relationnelles (refus de dire bonjour, ton verbal méprisant, etc.), de techniques persécutives (contrôles des communications téléphoniques, de la durée des pauses, etc.), et/ou de techniques d’injonctions paradoxales (ordre contredit, énoncés de tâches confus, etc.) (Delbrouck et al., 2011, p. 50).


En plus des facteurs liés au type de travail, certains facteurs liés à l’environnement professionnel peuvent aussi être contributifs au développement du burn-out. L’épuisement professionnel prend plus souvent racine dans des milieux où les conditions de travail sont amenées à changer ou doivent être retravaillées. Par exemple, des comportements managériaux abusifs ou incongrus entre ce qui est nommé et ce qui est fait, l’absence de support et de souci par l’entreprise, le manque d’employés et de ressources matérielles, des politiques axées sur le profit rapide sont tous des facteurs qui créent de l’instabilité dans l’environnement des travailleurs et peuvent fatiguer significativement les employés (Delbrouck et al., 2011, p. 51).


L’environnement social et familial du travailleur peut aussi devenir contraignant pour l’employé. En fait, ce ne sont pas directement ces derniers qui vont amener l’individu à l’épuisement professionnel, mais bien l’impact qu’ils vont avoir sur lui. Par exemple, si les enfants d’un individu sont malades et que ce dernier doit constamment aller à l’hôpital, il sera peut-être moins présent à l’emploi, augmentera sa charge de travail, aura peut-être un salaire plus faible et peut-être même des problèmes relationnels avec ses collègues de travail. Ces conditions de travail ne seront pas pour lui de tout repos augmentant ainsi le stress ressenti au travail et à la maison (Delbrouck et al., 2011, pp. 51-52).


Tout comme mentionné dans le livre Manifeste pour sortir du mal-être au travail de Vincent Gaulejac, la « révolution managériale » s’appuyant sur des travaux universitaires des années 1950 aux États-Unis a amené des outils de gestion destinée à optimiser l’utilisation des ressources humaines (Gaulejac & Mercier, 2012). Les notions se basent sur un principe de « capital humain » où chaque individu est responsable de se développer dans ces différents domaines de vie. L’individu devient donc une sorte de petite entreprise sous contractante d’une plus grande entreprise dans laquelle il travaille. Cette notion de « capital humain » amène donc l’entreprise et les individus qui la constituent à avoir un regard purement objectif, scientifique et capitaliste du travail humain. Lorsque le travailleur ne contribue plus à faire fructifier l’entreprise, ce dernier est mis de côté et remplacé par un autre « capital humain ». Cette idéologie amène donc les employés à être de plus en plus performants pour pouvoir garder leur emploi, mais cela les amène aussi à s’épuiser rapidement.


Arguments contre ma position


Plusieurs arguments vont à l’encontre de la théorie voulant que les facteurs organisationnels, sociaux et idéologiques aient aussi une influence sur l’individu dans le développement de l’épuisement professionnel. La plupart des théories qui suivent sont basées sur le principe que l’individu n’a pas les ressources internes pour faire face aux stresseurs dans son environnement.


Tout d’abord, l’épuisement professionnel peut être vu comme une reproduction d’un trauma archaïque. Ces théories sont d’origine psychodynamique et psychanalytique. Par exemple, une personne qui, dans son enfance, n’a pas été en mesure de s’identifier aux valeurs familiales et sociétales peut se créer un système de valeurs idéalisées le poussant à adopter des comportements perfectionnistes qui, par la suite, l’amèneront à être constamment en échec. Au travail, ses efforts sans résultat significatif pour lui créeront une fatigue qui se traduira par l’épuisement professionnel. Ce phénomène est aussi appelé la « pathologie du Moi idéal ». D’autres théories comme la répétition de comportements abusifs vécus dans l’enfance, l’utilisation de mécanismes autodestructeurs, la recherche constante de reconnaissance, la réaction au manque d’estime de soi (surtout chez les personnalités de type narcissique), le déplacement de l’énergie sexuelle vers le travail, la fixation au stade anal II ainsi que l’intrusion dans les croyances fondamentales ont aussi été élaborées expliquant les causes individuelles possibles de l’épuisement professionnel (Delbrouck et al., 2011, pp. 53-57).


Il a aussi été relevé certains comportements individuels qui créent des situations à risques au développement du syndrome d’épuisement professionnel. Les personnes souffrant d’anxiété exagérée sont souvent épuisées avant même d’avoir travaillé. Une personne ayant l’esprit d’entreprise poussée à outrance (hyperactivité, excès d’ambition, action compulsive, etc.) peut s’épuiser aussi facilement. Le désir de plaire à tout le monde et la présence d’autocritique exacerbée (motivé par la culpabilité par exemple) sont aussi deux comportements favorisant la fatigabilité. Enfin, l’incapacité à faire confiance aux autres et donc à déléguer ainsi que la mentalité de sauveur surcharge l’individu qui s’isolera de plus en plus (Delbrouck et al., 2011, pp. 58-60).


D’autres comportements à risque peuvent amener la personne à avoir un environnement difficile dans laquelle il travaillera. La place prédominante du travail dans sa vie, le manque chronique de sommeil, les excès des responsabilités dus à un leadership exemplaire ne sont que quelques exemples de comportements à risque dont une personne peut faire face et augmenter ses chances de développer un burn-out (Delbrouck et al., 2011, p. 61).


Certains types de personnalité sont plus à risque de développer le syndrome d’épuisement professionnel. Les gens ayant un tempérament mélancolique sont plus enclins à développer un burn-out. Il a été remarqué que ce sont souvent des femmes sensibles, renfermées et manquant d’assurance ou des hommes consciencieux, orgueilleux et introvertis (Delbrouck et al., 2011, pp. 61-63).


L’épuisement professionnel peut aussi être vécu comme une dépression somatique. L’individu peut ressentir des symptômes d’alexithymie, d’irritabilité, des troubles du sommeil, une perte d’appétit, une absence d’énergie de ressources. L’ensemble de ces troubles amènera la personne à se sentir plus tendu, plus énervé et donc moins disposé au travail (Delbrouck et al., 2011, p. 64).


Aussi, l’épuisement professionnel peut être vécu comme une forme de codépendance. À ce moment, la personne qui se croit indispensable et responsable des autres se forcera pour pouvoir aider tout un chacun et oubliera par le fait même de prendre soin d’elle. Les autos soins négligés amèneront l’individu à être plus exposées à l’épuisement professionnel (Delbrouck et al., 2011, p. 64)


Le burn-out étant une forme de stress, les individus peuvent être enclins à développer des troubles psychologiques dans le cadre de leur travail s’ils sont exposés à des conditions difficiles (Bährer-Kohler & SpringerLink (Service en ligne), 2013). Une étude menée en 2009 démontre que 98% (59/60) des infirmières qui avaient tous les critères diagnostiques de l’état de stress post-traumatique souffraient aussi d’épuisement professionnel (Mealer, Burnham, Goode, Rothbaum, & Moss, 2009). Une hypothèse biologique a été élaborée pour expliquer le lien entre la remémoration de souvenirs traumatiques et l’épuisement professionnel. Il a été observé que la morphine pourrait contrecarrer l’activation adrénergique des amygdales par l’intermédiaire des μ-récepteurs, ce qui diminuerait la fixation des souvenirs traumatiques. Il y aurait donc peut-être une prédisposition neurobiologique de certaines personnes à fixer dans la mémoire les souvenirs traumatisants. Cette théorie s’agence bien avec celles des traumatismes archaïques. Une personne qui a plus de risques d’être exposée à des traumatismes vu son milieu de travail (militaires, infirmières, etc.) aura davantage de chance de développer un état de stress post-traumatique et de l’épuisement professionnel. Elle aura, par le fait même, davantage de risques de vivre des reviviscences, de l’hypervigilance, de faire de l’évitement et d’être exposée à des rêves traumatiques. Si l’individu est moins exposé à ces contextes, il aura moins de chance de s’épuiser et aura plus d’énergie au quotidien (Delbrouck et al., 2011, p. 65).


Enfin, le burn-out peut être aussi vu comme facteur de vulnérabilité. Certains schémas, tels ceux de la vulnérabilité-méfiance, perte de contrôle, peur, etc., garderont l’individu dans un ensemble de croyances erronées ce qui pourra favoriser le développement de l’épuisement professionnel (Delbrouck et al., 2011, p. 66).


Nuances à apporter


L’approche biopsychosociale en psychiatrie se veut une approche multifactorielle. Par exemple, une personne ayant une prédisposition génétique à développer la schizophrénie et dont ses deux parents sont atteints a de 15 à 50% plus de chances de développer la maladie (Pouliot & Cormier, 2017). Il y a donc lieu de se demander quels sont les autres facteurs influençant le développement de la maladie. La consommation de substances psychoactives, l’environnement familial, social, les émotions exprimées sont quelques exemples de facteurs pouvant influencer le développement de la maladie. Rarement seuls un contexte inadéquat ou une prédisposition génétique influencent le développement de la maladie. Il en est de même pour l’épuisement professionnel.


Les entreprises, depuis le « boom » de l’industrialisation, veulent faire plus de profit avec de moins en moins de ressources. L’investissement de temps et d’argent dans le bien-être au travail représente donc une « perte » à court terme pour ces dernières. L’idée de la psychologisation de l’épuisement professionnel remet entre les mains du travailleur toute la responsabilité de son mal-être ressenti au travail. Ce dernier peut en venir qu’à ressentir une difficulté d’adaptation à son environnement lorsqu’il se compare à ses comparses. Il est intéressant ici de mettre en perspective que le burn-out ne constitue pas un diagnostic de santé mentale selon le DSM-V. La dépression, troubles anxieux, fatigue chronique et la neurasthénie (présent dans le manuel de Classification internationale des maladies, CIM-10) font partie, avec le trouble de l’adaptation, des diagnostics différentiels les plus utilisés pour décrire le burn-out (Bährer-Kohler & SpringerLink (Service en ligne), 2013). L’étiquette associée au « trouble de l’adaptation » peut amener l’individu à un discours culpabilisant et même honteux : « Mes confrères de travail sont capables de s’adapter et pas moi. Quel est mon problème? » Une des bases d’intervention à faire avec un individu souffrant de fatigue professionnelle est de justement travailler sur ce sentiment de honte qui n’aide en rien à diminuer le stress ressenti par l’individu.


Conclusion


Ce texte avait pour but d’amener une vision nuancée des causes de l’épuisement professionnel pour être en mesure de bien répartir la responsabilité de chacun dans l’étiologie du syndrome. La psychologisation des troubles sociaux et l’individualisme de la société actuelle amènent l’individu à porter une charge de responsabilités qui ne lui appartient pas entièrement. Les écrits qui précèdent mettent en perspectives les hypothèses étiopathogéniques du burn-out. Je décris les causes organisationnelles, idéologiques et individuelles qui influencent le développement de la maladie. Des nuances sont apportées pour bien répartir la responsabilité de chacun. De cette façon, chacun est amené à accepter les choses qu’ils ne peuvent changer, changer les choses qu’ils peuvent et développer leur sagesse pour en distinguer la différence. L’acceptation de la souffrance ressentie au travail permettant de reconnaître ce qui est présent « ici et maintenant » est essentielle. Cela ne veut pas dire ne rien faire. Cela veut peut-être seulement dire arrêter de se battre, de se dépasser, de se brûler, de s’épuiser professionnellement et mettre ses limites clairement pour le bien-être individuel et organisationnel.






Références bibliographiques



Bährer-Kohler, S., & SpringerLink (Service en ligne). (2013). Burnout for experts

prevention in the context of living and working. Repéré à http://dx.doi.org/10.1007/978-1-4614 4391-9


Chevrier, N., & Renon-Chevrier, S. (2004). L’épuisement professionnel : vers des interventions organisationnelles. Repéré à http://opq.sednove.ca/pdf/PsyQc_Dossier_Epuisement_Nov04.pdf


Crompton, S. (2011). Qu’est-ce qui stresse les stressés? Principales sources de stress des travailleurs. Repéré à http://www.statcan.gc.ca/pub/11-008-x/2011002/article/11562-fra.pdf


Delbrouck, M., Vénara, P., Goulet, F., & Ladouceur, R. (2011). Comment traiter le burn-out : principes de prise en charge du syndrome d'épuisement professionnel. Bruxelles: De Boeck. Repéré à http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2067204


Fremont, N. (2013). Quels facteurs explicatifs du burnout et du bien-être subjectif? Déterminants psychologiques, sociaux et organisationnels auprès des cadres à responsabilités et élaboration d'un modèle. Repéré à https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01124140/document


Gaulejac, V. d., & Mercier, A. (2012). Manifeste pour sortir du mal-être au travail. Repéré à http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2199588


Mealer, M., Burnham, E. L., Goode, C. J., Rothbaum, B., & Moss, M. (2009). The prevalence and impact of post traumatic stress disorder and burnout syndrome in nurses. Depression and Anxiety, 26(12), 1118-1126. doi: 10.1002/da.20631



Pouliot, C., & Cormier, C. (2017). NOTIONS SUR LES TROUBLES

PSYCHOTIQUES (PARTIE 1) [Présentation PowerPoint]. Repéré à http://portail.uqar.ca/course/view.php?id=9361


Truchot, D. (2004). Épuisement professionnel et burnout : concepts, modèles, interventions. Paris: Dunod. Repéré à http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=i2100070800


Vanderheyden, J.-É., & Corten, P. (2013). Le burn-out des quinquas. Bruxelles: De Boeck Supérieur. Repéré à http://ariane.ulaval.ca/cgi-bin/recherche.cgi?qu=a2407530323560

 
 
 

Comments


bottom of page